C’est grâce au peintre Émile Chambon que Carouge possède un musée. L’artiste genevois et collectionneur avait, en effet, décidé de léguer un certain nombre d’œuvres à la commune en vue de créer un Musée Chambon à Carouge. Après plusieurs années de négociations, c’est finalement le Musée de Carouge qui ouvre ses portes à la Maison Demontanrouge, en 1984, par une exposition consacrée à l’artiste (4 octobre 1984-27 janvier 1985).
La donation d’Émile Chambon se compose de cinquante-cinq tableaux et de six dessins de sa main, de trois toiles de Courbet dont l’attribution a été remise en question et de deux tableaux de son père. L’œuvre intitulée Jeune fille aux mouettes (Marina Doria), datant de 1957-1961, fait justement partie de ce don à la Ville de Carouge.
La femme occupe un rôle central dans l’œuvre d’Émile Chambon. Ici, vue de trois quarts, elle se trouve devant un muret au bord de l’eau – le lac Léman ? – et son abondante chevelure rousse, retenue par un mince ruban, est soulevée par le mouvement de sa tête qui se tourne en direction du spectateur. De ses mains gantées, elle tient, outre sa pochette noire, une étole qui flotte au vent. Elle porte un chemisier blanc à pois sans manche, bordé de dentelles, une jupe verte et une ceinture noire mettant en valeur sa taille fine. Les deux mouettes en vol encadrent son visage dans une composition savamment construite. Le traitement du visage, avec une géométrisation des traits, ainsi qu’une certaine dureté des lignes, sont caractéristiques du style de Chambon. Une impression d’élégance et de féminité se dégage de la toile.
Née le 12 février 1935 à Genève, skieuse nautique, Marina Ricolfi Doria, est la femme de Victor-Emmanuel de Savoie – princesse Marina de Savoie. Dans la préface de l’ouvrage de Philippe Clerc (Somogy, 2011) consacré à Émile Chambon, elle explique sa rencontre avec l’artiste : « Enfant, alors que je fréquentais l’école de Carouge où mes parents vivaient, j’étais en classe avec l’une des muses du peintre et c’est elle qui me l’a présenté. » Marina Doria a été le sujet de nombreux tableaux du peintre, par exemple La championne de ski nautique, Marina Doria (1956, huile sur carton), ou encore son Amphitrite dans ses compositions mythologiques.
Le motif de cette toile avait déjà été peint par l’un des artistes que Chambon admire et collectionne, Gustave Courbet : La fille aux mouettes, 1865. Le Musée de Carouge possède par ailleurs un tableau intitulé Jeune fille à la colombe datant de 1957-1964. Une autre toile du même motif est passée en vente récemment. Malheureusement, elle n’a pas pu entrer dans les collections, l’artiste étant fort apprécié des collectionneurs.
En 1993 dans La Suisse, Anne-Marie Burger résume avec pertinence le travail du peintre : « Au départ, il s’est choisi de grands maîtres, Courbet comme Vallotton. Mais pour figuratif qu’il soit, l’art de Chambon n’est pas qu’une simple adhésion à la tradition. Il est celui d’un homme que toutes les voies contemporaines ont sollicité et qui a délibérément renoncé aux évasions qu’elles permettent. Il a créé une œuvre dense, envoûtante, qu’on a parfois comparée à celle de Balthus, où les tentations de la fuite dans l’abstrait ont été surmontées avec une maîtrise souveraine. »
Emile Chambon, Jeune fille aux mouettes (Marina Doria), 1957-1961, Huile sur toile, 115 x 73 cm.
© Christian Golay, Musée de Carouge.